Les sens, pont entre le monde intérieur et le monde extérieur
De la même façon que les matériaux de construction ont une influence sur le plan matériel, par le toucher ou encore la respiration, la forme a aussi une l’influence grâce aux perceptions sensibles. Nous prenons sans arrêt en nous des impressions venant de notre environnement.
Ceci se passe en partie consciemment lorsque nous essayons de nous orienter dans une ville, ou lorsque nous cherchons l’entrée d’un immeuble; cependant une grande partie des perceptions reste inconsciente. Lorsque nous allons en ville nous passons devant des centaines de maisons, voitures, panneaux de publicité. Nous ne pouvons ni voulons les regarder, mais ils sont quand même perçus. Quand nous poursuivons une activité à la maison ou sur le lieu de travail, c’est sur cette activité nous dirigeons toute notre attention. Cependant cela ne signifie pas que l’environnement a disparu et qu’il ne nous procure pas d’impressions mais, pour un certain temps, nous ne lui prêtons plus d’attention. Pourtant, les couleurs, les formes, les odeurs et les bruits sont toujours présents et continuent à exercer leur influence. Ils peuvent influencer notre activité dans un sens positif ou bien négatif.
Ainsi Christian Rittelmeyer a testé comment des enfants vivent les formes de leurs salles de classe. Il a alors constaté, par exemple, que des salles de classe rectangulaires et en longueur, avec des larges baies vitrées, provoquaient des mouvements d’yeux agités qui laissaient le regard divaguer vers l’extérieur. Au contraire des salles moins profondes, avec un plafond légèrement incurvé, concentraient le regard plutôt vers le centre, là où l’enseignant souhaitait l’avoir. Bien entendu, un bon enseignement ne peut pas être remplacé par la forme de la salle et par les couleurs, mais celles-ci peuvent l’aider ou le perturber.
Pour apprécier de manière juste la qualité des formes, les cinq sens habituels ne nous suffisent pas vraiment. Si nous percevons les formes seulement par le toucher et par la vue, comment pouvons-nous y vivre des qualités de calme et de mouvement, d’équilibre et d’harmonie ? Pour cela nous avons besoin d’autres « sens » qui participent à la perception. Dans son livre « Sens et Nonsens », le designer Wulf Schneider distingue douze sens. Il se base sur les recherches de Rudolf Steiner qui décrit et distingue douze sens. Ceux-ci sont divisés en trois groupes de quatre sens, qui sont reliés soit à notre agir, soit à notre sentir, soit encore à notre penser. Les quatre sens inférieurs : le toucher, le sens vital, le sens du mouvement ainsi que le sens de l’équilibre sont plutôt orientés vers notre propre corps et notre action. Les quatre sens médians : le sens de l’odorat, le sens du goût, le sens de la vue et le sens de la chaleur se réfèrent plutôt au sentiment, et les quatre sens supérieurs : l’écoute, le sens de la parole, le sens de la pensée et le sens du Je, ou sens de l’identité, sont plutôt tournés vers l’activité de pensée et vers le spirituel.
Wulf Schneider distingue trois qualités de l’espace : « l’espace de l’action » qui est perçu par les sens inférieurs, « l’espace du sentiment » que nous percevons en premier lieu avec les sens médians, et « l’espace de la signification » que nous percevons avec les sens supérieurs. Se basant sur le sens de la parole décrit par R. Steiner, soit la faculté de reconnaître dans certaines sonorités un concept significatif, et celui de la pensée, soit la possibilité de reconnaître une pensée à partir d’une série de mots, Wulf Schneider relie la perception à l’aide de ces deux sens avec la perception des formes et leur signification.
Alors, le sens de la forme (parole) perçoit le langage des formes de l’architecture, et le sens de la pensée interprète leur signification. Sans pouvoir justifier ici le nombre de ces sens ou leur ordonnance, nous les utilisons comme des fenêtres pour regarder l’architecture. Nous nous limiterons ici à la perception des formes sans tenir compte d’autres domaines de perception importants comme la lumière, la couleur, l’acoustique.