L’importance des perceptions sensibles et de la forme
On peut se demander si une telle conception de l’architecture n’est pas un luxe superflu, voire même si elle ne se présente pas en contradiction avec l’aspect économique de la construction écologique. Si l’on considère l’homme et la nature seulement d’un point de vue matériel, cela peut effectivement être le cas, car toute exigence pour la conception des formes coûte plus d’argent, d’effort et de matériaux. Et pourtant cette dernière remarque n’est pas nécessairement vraie, comme le montre la Casa Organica, conçue par Javier Senosiain, à Mexico (cf. photo n° 11). D’après son témoignage, il n’a été utilisé, pour la construction des formes rondes de la maison, que la moitié de la quantité de béton qui eût été nécessaire aux besoins d’une maison rectangulaire de la même dimension. De plus, la maison étant enfouie dans le sol, aussi bien le chauffage que la climatisation furent inutiles. La température intérieure, été comme hiver, est étonnement stable, autour de 18°C.
Néanmoins, la question de la conception des formes prend tout son sens si l’on tient compte de la vie psychique et spirituelle de l’homme. Les perceptions sensibles sont une sorte de « nourriture » pour la vie intérieure. Dans ce sens, elles peuvent soit vivifier, soit polluer le « sol » de cette vie intérieure. Comme dans l’agriculture actuelle où l’on constate une pollution immense du sol, par sur-stimulation du fait des engrais chimiques. Il n’est donc pas vrai que nous nous développons indépendamment de notre entourage – aussi bien du point de vue corporel que du point de vue psychique et spirituel, nous sommes constamment confrontés à notre environnement.
A ce propos, notre développement est déterminé aussi bien par des impulsions intérieures que par des conditions extérieures. Un bel exemple en est la formation de nos os. Ceux-ci présentent, à l’intérieur, une structure magnifique de fines lamelles exactement adaptées aux sollicitations les plus fréquentes ; ils sont construits avec un minimum de matière, et à même de soulever un maximum de charge (cf. dessin n° 12). Cette structure se forme en réponse à la sollicitation exercée, et en cela elle n’est pas déterminée. Lors des missions spatiales, les astronautes subirent de graves dommages, car leurs os furent décomposés par leur propre corps, à cause de l’apesanteur. Nos muscles et nos organes se forment d’après le même principe. Même notre cerveau, longtemps considéré comme l’organe le moins soumis à transformations, sait créer, tout au long de la vie, de nouvelles connections en réponse à la façon de l’utiliser. Ainsi, notre organisme se développe en rapport avec les activités que nous déployons nous-mêmes, et avec les circonstances que nous rencontrons à cette occasion.
Il en est de même pour notre vie intérieure. Elle se développe et reçoit sa coloration dans sa confrontation avec l’entourage. Les autres hommes y jouent la plupart du temps le rôle principal, mais l’environnement est un décor important. On sait combien les décors d’une scène ont une forte empreinte sur le déroulement d’une pièce de théâtre, ils peuvent la favoriser ou bien l’entraver. Il n’existe pas de séparation entre jeu scénique et décors, entre vie et architecture, entre âme et esprit. L’essentiel est justement l’interaction continuelle de ces domaines. Le thème des sens montre justement, avec clarté, combien ces différents plans sont intimement liés et agissent les uns sur les autres. Ainsi, avec le sens de la vue, s’unissent la concentration de l’esprit, le ressenti de l’âme et l’organe physique. Le contenu de la perception enrichit notre âme et ouvre l’esprit à de nouvelles compréhensions ; il agit en retour sur notre organisme en le façonnant. Ce qu’il s’agit de développer, il me semble, c’est une architecture et une technique qui tiennent compte de cette vision vivante et globale de l’homme, dans son interaction sur l’environnement, dans le choix des matériaux, de la conception des formes et de la signification du bâtiment.
Pieter van der Ree
Architecte et professeur d’architecture organique à l’Ecole Supérieure d’Art Alanus à Bonn/Alfter, Allemagne.
Article paru dans la revue MENSCH + ARCHITEKTUR – 64 – 01/2009, Allemagne.
Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur.
Traduit de l’allemand par Johanna Auer et Catherine Prime.
Bibliographie
- Jürgen Bengel : Was hält den Menschen gesund ?
Köln 2001. (Qu’est-ce qui permet à l’homme de rester en bonne santé?) - C Rittelmeyer : Schulbauten positiv gestalten.
Göttingen, 1994. (Construire des bâtiments d’école de manière positive) - Wulf Schneider : Sinn und Un-Sinn. Umwelt sinnlich erlebbar gestalten in Architektur und Design.
Leinfelden- Echterdingen, 1995 (Sens et Non-sens. Façonner l’environnement de sorte qu’il puisse être ressenti à travers les perceptions sensibles dans l’architecture et le design). - Rudolf Steiner : Zur Sinneslehre. Stuttgart, 1990
(A propos des sens) - Johannes Volkelt : System der Ästhetik.
München,1905 (Le système de l’esthétique) - Le Corbusier : Vers une Architecture. Paris, 1923.
- Pieter Van der Ree : Organische Architektur.
Stuttgart, 2001 (Architecture organique)