Les organes internes, image de l’organisation fonctionnelle de l’architecture
Les organes internes entrent dans plusieurs systèmes vitaux.
Le système rythmique associe la circulation sanguine et la respiration.
Le système métabolique permet de transformer les aliments en énergie et nutrition.
Le système neuro-musculaire assure la coordination et le mouvement en relation avec le cerveau.
Ces systèmes se prolongent dans l’habitat humain. Ils se prolongent par les habitants qui y vivent, qui organisent et désorganisent leur espace intime, qui y mangent, dorment, travaillent, qui jouent, chantent et discutent, qui méditent ou rêvent, etc. Une architecture qui n’est pas habitée se meurt.
Une architecture est vivante parce qu’elle est habitée, mais aussi parce qu’elle suscite la vie. Une architecture fonctionnelle au sens restreint ne permet pas l’identification, l’expression individuelle de la vie sous toutes ses formes par une transformation permanente.
Chaque espace de la maison a sa fonction et son imaginaire en relation avec une fonction organique. Ce thème a été étudié par différents auteurs : Schwaller de Lubicz analyse les rapports entre l’architecture du temple d’Abou Simbel et le corps humain avec ses organes internes (notamment les organes de la tête) (4) .
Annick de Souzenelle met en relation certains organes et des formes telles que le labyrinthe, l’arche, la porte ou le tympan d’une église : « Nombre de nos œuvres aujourd’hui sont labyrinthiques –sur le plan architectural, le centre Pompidou, tous intestins à l’air, en est un chef-d’œuvre – et nos machines faites pour nous libérer, contradictoirement nous asservissent tous les jours davantage. » (5).
L’architecture comme organe sensoriel
Les principaux organes des sens sont regroupés dans la tête.
La forme de la boîte crânienne a permis leur développement.
Mais la perception elle-même, comme synthèse de toutes les sensations, est comme l’extension du corps.
La perception se produit en effet aussi bien vers l’intérieur du corps que vers l’extérieur.
La perception de l’espace au-dedans (par l’équilibre, la respiration, les rythmes) se prolonge avec la perception de l’espace au dehors (par la vue, l’ouïe, l’odorat ou le toucher).
La vue, organe principal de perception de l’espace à trois dimensions crée une frontière entre l’espace perçu au dehors et l’intérieur du corps. La vue est limitée par les effets de masques.
L’ouïe brise ces limites entre l’espace intérieur du corps et l’espace environnant, elle permet une perception lointaine au-delà des limites visuelles. La position opposée des oreilles permet aussi de situer dans l’espace une source sonore.
Avec l’odorat, la perception devient plus intime et plus temporelle avec la persistance des odeurs.
Les sensations tactiles mais aussi la sensation de chaleur et d’équilibre viennent compléter cette perception de l’espace. Au centre de cette perception se trouve le sentiment de soi : l’être sensible sujet de la sensation et centre de l’espace. « Je me situe dans cet espace intérieur et extérieur ».
Dans le prolongement de soi à travers l’architecture, la perception peut être aiguisée ou au contraire mise en confusion : ainsi un espace consacré à la musique donnera aux sons certaines qualités.
Réciproquement, les musiques sont conçues selon l’espace où elles seront jouées. La vue est prolongée par les baies qui peuvent créer une ouverture, cadrer sur une vue ou au contraire fermer et cacher.
De même la perception tactile et visuelle des matières et des couleurs agit sur l’être humain : elles peuvent susciter des sensations de chaud ou froid, douceur ou agressivité, etc.
L’architecture est sensorielle et comparable à un organe des sens dès lors qu’elle permet des perceptions impossibles sans elle, une meilleure écoute, une plus grande acuité visuelle.
Ceci peut être ressenti dans certains édifices religieux et civils où la perception a une importance particulière, mais aussi, par exemple, au contact de certaines œuvres d’art . C’est le cas en observant et en pénétrant dans Les Demeures d’Etienne Martin.
Les Demeures sont des sculptures architecturales dans lesquelles l’artiste exprime à la fois son ressenti de la maison natale, de ses mystères et une approche poétique de l’espace.
Le corps est au centre de ces Demeures : « J’attache une grande importance à cette possibilité pour le spectateur et pour moi de pouvoir se mouvoir à l’intérieur d’une forme : il y a une sorte de communication plus forte entre le spectateur et nous.
Cette architecture doit être en rapport avec une autre architecture, celle vivante du corps.
Lorsque nous y entrons, nous devenons successivement les axes mêmes de ces formes. » (6). Elles communiquent avec le spectateur qui s’y meut, elles lui parlent avec plus ou moins de succès.
« Certaines architectures sont muettes, d’autres parlent, d’autres, plus rares, chantent » (2). Ces architectures qui chantent sont à la fois organes sensoriels et organes de communication, expressives parce qu’elles permettent et développent en l’être humain la perception et parce qu’elles suscitent des images.