Sommaire
- Editorial : un urbanisme de sentiments
- Carole HELFER, architecte
- Quartiers soutenables : Auxerre
- Lucien KROLL, architecte
- EVA Lanxmeer : un exemple d’urbanisme durable
- Marleen KAPTEIN
Edito
Un urbanisme de sentiments
Au cours des cinq derniers siècles, en fait depuis l’avènement des véhicules à roues, nous avons transformé et remodelé nos villes et nos campagnes pour répondre à notre frénésie infantile d’aller toujours plus loin, toujours plus vite.
Ce qui nous importait était le but à atteindre et non le chemin parcouru.
Mais avec le temps, les énergies s’épuisent, on finit par s’essouffler et suffoquer.
Après avoir posé le pied sur la lune, l’homme veut retrouver ses racines, son lien avec la terre, sa mère nourricière, et avec l’univers et le cosmos dont il sent l’essence nourrir son corps, son âme et son esprit.
On se tourne alors vers des activités moins énergivores et en réparant les dégâts occasionnés par nos maladresses juvéniles, on acquiert plus de sagesse.
Peut-être entrons-nous là dans l’âge adulte ?
Quoi qu’il en soit, nous aspirons aujourd’hui à plus de calme, plus de sérénité, on veut pouvoir regarder le chemin qu’on parcourt, pouvoir s’arrêter devant une fleur, sentir son parfum, parler de la pluie et du beau temps avec la boulangère, s’asseoir sur un banc pour discuter avec son voisin ou écouter le chant des oiseaux en dégustant l’harmonie et la sérénité du lieu.
On veut que nos enfants, petits-enfants et arrière-petits-enfants puissent eux aussi jouir un jour de ce sentiment de plénitude.
On veut vivre dans un environnement sain, harmonieux, équilibré, dans lequel s’instaure un dialogue entre les hommes, leur environnement construit et paysagé et l’environnement naturel qui les accueille.
N’est-il pas surprenant qu’en réponse à notre volonté d’ouverture sur la nature, les spécialistes nous conseillent de nous enfermer dans des boîtes hermétiques ?
Qu’à notre désir de respecter l’environnement, ils nous imposent de fortes épaisseurs d’isolants qui, vu la situation économique, sont certes moins chers que les matériaux sains et naturels, mais inexorablement toxiques et polluants, et qu’ils se contentent d’incitations au tri sélectif des déchets ménagers ? Qu’à notre souhait d’harmonie, ils nous proposent des alignements de petites boîtes toutes identiques, à mi-chemin entre les pavillons et les barres de nos banlieues ?
On peut s’interroger de même sur les espaces supports du dialogue nécessaire à l’équilibre de la communauté.
Car c’est là que peut s’exprimer cette demande et cette compréhension d’enrichissement grâce à la mixité sociale, générationnelle et fonctionnelle.
Et à voir les aménagements de ces espaces, nombre d’éco-quartiers, à l’instar de nos banlieues, semblent peuplés de jeunes footballeurs et cyclistes en herbe.
En effet, la qualité de la plupart des éco-quartiers se définit en kW/m²/an et se limite trop souvent à des habillages en bois régional, en récupération des eaux pluviales, en revêtements perméables et en capteurs solaires thermiques, voire photovoltaïques.
Mais il existe des gens qui ont su unir leurs énergies pour réaliser leur rêve d’habiter ensemble en vivant autrement, dans un sentiment de communion entre eux et avec leur environnement.
Et c’est bien de sentiments dont il s’agit de se vêtir lorsqu’on enfile le tablier du planificateur pour se projeter dans les espaces qui se dessinent sous nos doigts : qu’est-ce que je ressens lorsque je m’installe à cet endroit ? Qu’est-ce que je vois ?
Si je déplace ce bâtiment de quelques mètres je pourrais voir le clocher de l’église et son horloge, si j’étais fatiguée, j’aimerais bien m’asseoir là, à discuter avec la voisine ou à regarder les enfants jouer, et si j’étais un enfant, j’aimerais bien jouer dans ce petit coin avec mes copains ; qu’est-ce que je peux faire pour que ce « petit coin » soit une porte ouverte à l’imaginaire d’un enfant tout en étant suffisamment sécurisé ?
Et là, on pourrait organiser des soirées barbecue ou vin chaud, tous ensemble ; comment vais-je modeler ces espaces pour qu’ils soient conviviaux, protégés tout en étant ouverts ?
C’est en consultant nos sentiments, bien plus que les théories abstraites, qu’on favorise la qualité de la vie, humaine, animale et végétale, qui s’y déroule.
La qualité de la nature, la qualité de l’environnement, la qualité de vie de l’homme, la qualité de son architecture, la qualité de ses relations, …, sont à la portée du crayon de tout planificateur pour qui l’homme dans son environnement est au cœur de ses préoccupations.
Carole HELFER
Architecte