Cahier n°4 – Couleur et perception en architecture, polychromie versus monotonie

Sommaire

  • Couleur et perceptions sensorielles – architectures culturellement organiques
    • Dominique BEAUX, architecte
  • La couleur en architecture, de la dimension scientifique à la lumière
    • Riad NEGGACHE, architecte
  • Désordres urbains, les évènements annonciateurs
    • Lucien KROLL, architecte

Edito

Le réfléchir rationnel/fonctionnel des ingénieurs et universitaires est-il suffisant aujourd’hui pour créer de l’architecture ?

Les différentes formes de dissociation que l’on voit se manifester chez l’homme d’aujourd’hui, notamment la séparation de sa tête d’avec son corps, vont de pair, semble-t-il, avec son isolement d’avec son propre milieu.
Cette séparation tête-corps est évidemment inhérente au processus de penser nécessaire à la rationalité «scientifique» et technique (penser conceptuel du cerveau gauche qui n’est en fait qu’un réfléchir), tandis qu’on ne confond plus actuellement penser et réfléchir !

Cette manière de pratiquer, disons même, cette attitude typique du BAUHAUS qui était nécessaire dans les années 1920, n’est toujours pas dépassée par l’ensemble des écoles d’architecture.
Les intentions du BAUHAUS ont même été détournées, et les écoles (qui causent bien plus qu’elles ne pratiquent), sont progressivement devenues, dans leur ensemble, des centres d’apprentissage destinés aussi à produire des bâtiments industriels économiques pour le marché et les industriels, et donc elles tendent à «l’uniformisation», avec parfois des fantaisies formelles qui confirment la règle.

Or la pensée unique et mécaniste, utile à cette déviance de l’architecture réduite à du technique ou à son processus de «penser» est cependant contraire à la simple notion, tellement réclamée, d’intégration du construit à son environnement qui est pourtant l’une des visées principales, actuellement perdue, de l’architecture.
Pédagogiquement, il faudrait pour retrouver celle-ci, tendre à dépasser ce «penser» technique et universitaire mais on assiste au contraire à son renforcement.

Or, ce processus mental de penser, ne produit évidemment de l’écologique qu’au seul niveau technique, tandis que l’écologie concerne le Vivant , ce qui signifie qu’elle ne peut plus être résolue seulement par le penser technico-conceptuel.
Et les solutions «propres», «durables», les panneaux solaires etc, bien sûr matériellement performants mais sans dimension spirituelle et plastique (nécessitant le processus de penser perceptif du cerveau droit, dimension culturelle qui échappe au penser-réfléchir et qui pourrait ainsi modérer son utilitarisme, ne sont pas plus qu’un Fonctionnalisme «doux», parfois inexpressif comme le Fonctionnalisme ordinaire mais parfois aussi, prolixe en courbes et en complications, ce que des architectes qui se veulent organiques, n’ont pas toujours su éviter.
En somme, la face maniériste et cachée du Style(Fonctionnaliste) International, souvent aussi peu apte à la fameuse intégration que sa face inexpressive.

Aussi, la pensée et la pratique architecturales actuelles possèdent deux variantes : l’une, un peu conservatrice et avare d’expression plastique, la «puriste» du Bauhaus, et la seconde plus «moderne» et formelle, laquelle a aussi ses deux variantes, la pro-écologiste et sentimentaliste de la courbe «sensible», et à son antipode, l’esthétisme pompeux d’ingénieurs plutôt que d’architectes, qui, quoique non fidèles aux œuvres d’origine et prônant les techniques de pointe (je pense à certains ponts et à des gares qui «en jettent»), restent fonctionnalistes tandis que leurs expressions sont, malgré tout, assez proches du fer forgé à l’ancienne !

En bref, on continue à penser l’architecture avec le réfléchir qui convient aux techniques, additionné de vieux beau vécu comme un supplément d’âme.
Car, revenons-y, c’est bien ce réfléchir qui se prend pour de la pensée, qui produit de la tête séparée du corps, en produisant ainsi et simultanément du bâtiment séparé, lui aussi, de son contexte environnemental.

Tandis que l’architecture (celle qui répondrait à cette appellation), impliquerait tout au contraire – les neurosciences l’ont beaucoup suggéré depuis un certain temps déjà – de ne plus séparer dans le penser humain, le conceptuel et le perceptif, la tête et le corps, c’est à dire aussi, le rêve et la raison. La raison serait ainsi fortifiée et simultanément, le rêve ne serait plus comme souvent, une fuite de compensation révélant les angoisses et autres frustrations des créateurs, tant isolés de leurs consommateurs.

Ainsi, la «relationnalité» remplacerait la rationalité tandis que la plasticité dépasserait tous les esthétismes et autres « arts » conceptuels.

Et ici, la question des critères de la qualité architecturale n’est plus tant savante et universitaire. Elle devient un simple problème de bon sens comme on dit « populaire », sinon d’intelligence.
Elle est à mon avis aussi simple que l’était LA PALICE : l’architecture est-elle capable ou bien ne l’est-elle pas, de répondre au besoin de bonheur et /ou d’épanouissement de celles et de ceux qui l’habitent ?

Ce qui pourrait, je crois, redevenir son principal objectif.
C’est ici l’une des rares revues à poser ce genre de questionnement qui signifie pourtant l’ultime «to be or not to be » pour l’architecture.

Jacques Louis FAMERY
Architecte